mardi 30 novembre 2010

La Dame pâle d’Alexandre Dumas (et les feuilletons du 19e)

Allez savoir pourquoi, j’ai lu cette nouvelle il y a plusieurs semaines et je n’ai toujours pas fait le billet qui va avec.
Pourtant, cela m’a beaucoup plu.
C’est court (103 pages), parfait pour un dimanche après-midi, et remplit d’ingrédients qui rendent cette lecture savoureuse.
Une preuve de ce que j’avance : même après tout ce temps, je me rappelle exactement de l’histoire !

Dans une réunion de salon comme on en trouve tant dans les récits de ce siècle, chacun raconte une histoire, tâchant d’être plus original que son voisin. Mais celle qui raconte l’histoire la plus extraordinaire est surnommée la Dame pâle.
Cette dame est Polonaise. Pendant la guerre qui opposa la Russie à son pays, elle dut fuir ses terres et son père, sacrifié à la cause. Chevauchant plusieurs jours pour trouver refuge dans un monastère reculé, elle traverse une région désolée, où elle est attaquée par une bande de brigands. Leur chef va tous les tuer quand un homme surgit et leur ordonne de s’arrêter. Il s’agit de deux frères, seigneurs du pays dont l’un est sombre et dangereux, Kostaki, tandis que l’autre, Gregoriska, est lumineux et protecteur. Pour soustraire la jeune femme au danger, Gregoriska la mène en son château et lui propose d’y séjourner tant qu’elle le souhaite.
Contrainte par la situation, elle accepte. Les deux frères vont alors se livrer une lutte acharnée pour obtenir la jeune femme dont ils sont amoureux. Mais Kostaki a un avantage. Chaque nuit, il drogue Hedwige et vient s’abreuver de son sang !

Dumas utilise le procédé du récit enchâssé, classique à cette époque, et largement exploité également par Barbey d’Aurevilly. Il n’en abuse pourtant pas et se contente de deux pages d’introduction et de quelques lignes de conclusion.
Son récit s’installe ensuite, faisant une place progressive au fantastique, de telle sorte que le lecteur croit d’abord que tout va s’expliquer, qu’il s’agit de croyances archaïques. Quand il s’aperçoit qu’il sera question de vampires, il est trop tard, et il se laisse prendre comme les personnages.  

Les histoires de vampires sont fréquentes aujourd’hui, et l’on n’est plus étonné de voir sortir un nouveau tome de Twilight. Il n’en était pas de même au 19e siècle, et si Dumas s’inscrit dans la veine de Bram Stoker et propose une nouvelle du plus pur gothique, il précède de loin la publication de Dracula.
Je ne dis pas qu’il invente les vampires, mais il propose au lecteur une histoire que l’on a peu l’habitude de lire sous son nom. Dumas est rarement fantastique, tout s’explique généralement, mis à part dans quelques unes de ses nouvelles, comme celle-ci ou la femme au collier de velours, si mes souvenirs sont bons.

J’ai l’impression qu’il s’autorisait quelques petits plaisirs d’écritures dans ces nouvelles qui sont toujours bien construites et répondent à des thématiques dont les lectrices étaient friandes à l’époque.
Dumas écrivait pour les femmes, celles de la haute bourgeoisie, bien sûr, mais également pour les autres, celles qui le lisaient en feuilleton, le soir à la veillée.
Savez-vous que ces feuilletons occupaient la partie basse de la quatrième (ou la dernière) page du journal ? On l’appelait parfois le rez-de-chaussée, je crois.
Ils étaient prévus pour pouvoir être découpés et reliés. Le journal était une lecture d’homme et seul le feuilleton était autorisé pour les femmes.
Dans certains immeubles, les journaux se passaient de mains en mains. Mais quand les lectrices étaient plus habiles, l’une d’entre elles découpait les feuilletons, les reliait en cousant un coté et les fascicules se prêtaient plus facilement. Pour celles qui ne savaient pas lire, une plus instruite faisait la lecture pendant la veillée.
Si le feuilleton était autorisé, c’est qu’il avait été validé par le rédacteur du journal, et par une commission qui vérifiait que le récit était conforme aux bonnes mœurs. Tous les journaux ne s’y conformaient pas.
Ainsi, dans l’Humanité, Zola publiait ses romans pourtant mis à l’index par le vatican. Sachez, amis lecteurs de Zola, que vous êtes d’ores et déjà voués aux enfers pour cette vilaine lecture !

Si le sujet de la lecture au 19e siècle vous intéresse et si vous souhaitez en savoir plus sur les feuilletons, je vous conseille la lecture d’un petit livre passionnant et très facile à lire (ce qui n’est pas toujours le cas) : Le roman du quotidien d’Anne-Marie Thiesse, aux éditions du seuil, coll. Points.


Grâce à ce petit récit, j’ajoute un titre à ma liste pour le Challenge 2€ et un Classique pour le Challenge J’♥ les Classiques.

Il était déjà validé pour l’objectif PAL, et vient aussi s’ajouter au challenge Au Bon Roman

C’est aussi ma première participation au challenge Alexandre Dumas




10 commentaires:

  1. C'est Eugène Sue qui a lancé la vogue des feuilletons, c'était aussi un moyen efficace de gagner de l'argent pour les auteurs... il fallait juste bien négocier ensuite l'édition en livre, ce à quoi Sand veillait particulièrement, parce que certains journaux offraient aux abonnés des éditions reliées du roman et donc amputaient les revenus de l'auteur !!! Mais c'était une vraie manne pour les écrivains ET les journaux (qui voyaient leurs ventes augmenter !!!).

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  2. @ George : oui, c'est vrai que les éditeurs avaient des modes de rémunérations assez particuliers qui obligeaient les auteurs à faire attention. Il y avait aussi la vente en volume qui permettait de gagner de l'argent. Et selon le journal, je crois que les prix payés aux auteurs étaient aussi complètement différents.

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  3. A ma grande honte, je n'ai encore jamais lu Dumas. Je devrais peut-être m'inscrire à son challenge mais je peine à m'imposer des contraintes de lecture. Enfin bref, un très joli billet qui me donne encore plus envie de découvrir cet auteur. Je commencerai peut-être avec cette nouvelle avant d'attaquer Les trois mousquetaires qui me fait de l'oeil depuis un moment déjà. Et je note aussi Le roman du quotidien.

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  4. @ Zarline : il ne faut pas avoir honte, on ne peut pas avoir tout lu :) et il n'y a pas de fatalité non plus, il n'est jamais trop tard pour découvrir un nouvel auteur ;)
    Quand aux trois mousquetaires, j'avoue avoir préféré le Comte de Monte-Cristo (mais c'est très long), et la Reine Margot. Mais il faut lire en fonction de ses envies, ça aide. Et bonne lecture !

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  5. Argh! Encore 2 livres qui vont s'ajouter dans ma LAL! Celui sur la lecture au 19e me tente en effet beaucoup aussi.
    Les livres de Dumas que je préfère sont Les trois mousquetaires et Vingt ans après que j'ai lus et relus quand j'étais au collège et qui m'ont tant fait rêver!
    J'ai beaucoup aimé certains passages de ses Mémoires aussi.

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  6. J'avais bien aimé cette nouvelle et je m'empresse de noter "Le roman du quotidien" ;)

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  7. Merci pour ce billet, c'est très intéressant ce sujet de la lecture au XIX et des feuilletons.

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  8. @ Marie : Vingt ans après est dans ma liste à lire, mais je ne l'ai pas encore lu. Par contre, je ne connais pas ses mémoires, je vais aller voir ça ;)

    @ Cynthia : c'est vraiment un super bouquin, plein d'infos passionnantes :)

    @ Kathel : de rien, cela me fait plaisir qu'il vous plaise :)

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  9. Ah ben tu as trouvé le truc pour remplir tous tes challenges en même temps :D
    Merci pour les infos concernant le journal, c'est super intéressant !
    Je mettrai le lien vers ton billet très vite :)

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  10. @ Ankya : c'est vrai que pour un livre si court, j'ai été efficace ;)

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