Carole Martinez a manqué le Goncourt
pour adultes, mais a obtenu le Goncourt des lycéens.
Vous n'avez peut-être pas suivi le
déroulement de la sélection « adulte », mais celle-ci a
été très commentée. Certains romans, très présents sur les
blogs, dans les médias spécialisés, avaient été écartés dès
la deuxième sélection, ce que beaucoup ont trouvé injustifié. La
sélection finale ne comprenait plus ni Emmanuel Carrère, ni
Delphine de Vigan.
Comme chaque année, il s'en est suivi
un énième débat sur les prix littéraire et les compositions des
jurys, et notamment du Goncourt.
Le second livre de Carole Martinez,
lui, figurait parmi les « heureux » élus, ce qui lui a
valu d'être parfois vivement critiqué par les déçus de la
sélection. J'ai été très surprise, par exemple, d'entendre une
journaliste qui disait avoir abandonné le livre à la page 150 mais
n'avoir pas compris où l'auteur voulait en venir. Et effectivement,
l'histoire racontée dans les premières pages est bien jolie, mais
elle prend tout son sel dans les 30 dernières. Quel dommage d'en
parler sans être allé au bout.
Quoi qu'il en soit, je trouve que les
lycéens ont bon goût et que ce livre méritait d'être récompensé.
On ne peut jamais savoir si l'épreuve
du temps en fera un classique, et les primés du Goncourt ne sont pas
connus pour leur longévité, mais finalement, pour un auteur,
n'est-ce pas plus intéressant de vendre des livres maintenant et non
dans 200 ans ?
Esclarmonde est une jeune fille
pleine de vie, qui a vécu dans le château de son père, protégée
du monde et des hommes.
Quand son père veut la marier à un
chevalier violent et rustre, elle voit son monde s'effondrer et la
liberté à laquelle elle aspirait s'éloigne irrémédiablement.
Pour échapper à ce destin, elle
choisit d'annoncer le jour de son mariage que Sainte Agnès lui a
parlé. Elle a demandé que l'on construise une chapelle sur le
domaine de son père, avec une petite cellule dans laquelle elle sera
enfermée toute sa vie.
Son père est furieux, il refuse de
la voir dès ce jour et la considère comme morte. Son futur mari
abandonné au pied de l'autel change de vie et toute la région est
transformée par cette jeune femme qui n'a pas de faute à expier,
mais sacrifie sa vie.
La mort ne vient plus, les récoltes
sont belles, les enfants ne sont plus malades. Les pèlerins affluent
également et viennent consulter Esclarmonde, lui demander une
bénédiction ou un pardon pour un péché.
Je n'ai pas lu le cœur cousu et je ne
peux pas faire de comparaison. Ce qui n'est pas plus mal, car ainsi,
j'ai encore plusieurs heures de belle lecture qui m'attendent.
Car vous l'avez sans doute deviné,
j'ai beaucoup aimé ce petit roman !
C'est assez court, le dénouement
survient d'un coup et tout s'enchaîne dans les dernières pages.
Mais on a eu le temps de s'attacher à Esclarmonde et aux personnages
qui appartiennent à son univers, de découvrir les relations qui se
tissent entre eux et les évènements qui les touchent.
Carole Martinez nous emporte
progressivement vers ce domaine des Murmures en traversant la forêt
avec son lecteur et en parvenant à l'emplacement de la chapelle et
de l'ancien château. Elle nous guide ensuite jusque dans la cellule
d'Esclarmonde où nous la suivons dans son enfermement.
Mais Esclarmonde n'est pas seulement
enfermée.
Elle voyage beaucoup, elle voit bien
plus de monde qu'avant. Quand elle ferme les yeux, chaque soir, elle
part et s'envole pour suivre son père sur le chemin des croisades.
Quand elle se réveille, chaque matin, elle ouvre son volet et prend
des nouvelles apportées par les pèlerins qui viennent du monde
entier.
Elle apprend ainsi beaucoup sur la
nature humaine mais aussi sur elle-même.
Je dois avouer que cette situation
d'enfermement m'a un peu effrayée au départ.
Je me suis dit que j'allais lire
l'histoire d'une illuminée, d'une mystique à qui Dieu a parlé. Une
belle histoire, certes, mais des vies de saints, il en existe déjà
tellement.
Je me demandais donc ce que ce livre
pourrait apporter de plus, mais il fait bien plus que cela.
Finalement, l'histoire d'Esclarmonde
est à pour exprimer autre chose, pour parler de la violence, celle
que l'on fait aux femmes, celle que l'on fait au groupe, des non-dits
qui se transforment en malédiction, de soi-même et du monstre qui
sommeille en chacun de nous.
Carole Martinez brosse le portrait
d'une microsociété dont il est difficile, voire impossible de
sortir, du groupe en dehors duquel chacun n'est plus reconnu comme un
individu (mais l'était-il dans le groupe?) car il ne partage plus
les même racines.
Esclarmonde passe du statut de Reine au
statut de victime plusieurs fois pendant le récit et sa cellule
s'ouvre et se referme sur le monde de façon souvent agressive.
La violence est omniprésente et si
elle se cache parfois, elle semble tapie, et prête à bondir.
Si vous avez envie de vous plonger dans
une version non mièvre du Moyen Age, de lire le récit de la vie
d'une mystique qui n'en est pas une, de lire un bon livre, un récit
de femme, une quête impossible, ce livre est fait pour vous.
Il est exigeant sous une facilité
apparente, et s'il se lit bien, il ne se livre pas si facilement, ce
qui est toujours plus agréable.
Je remercie vivement Clara pour ce
livre voyageur qui fut une bien belle découverte.
J'ai lu le coeur cousu mais pas encore celui-ci. Cela viendra!
RépondreEffacer@ Chrys : je te le conseille, ça a l'air bizarre au début, mais c'est vraiment bien :)
RépondreEffacerUn très beau livre à mon avis aussi ! Quant à la journaliste qui avouait l'avoir laissé au bout de 150 pages, elle est honnête au moins... Je soupçonne beaucoup de critiques littéraires de ne même pas fournir l'effort au-delà de 50 pages ! ;-)
RépondreEffacer@ Kathel : c'est sûr, et on voit souvent dans les critiques qu'ils ne sont pas aller au delà ;)
RépondreEffacerChouette découverte pour moi aussi. Une histoire qui évoque à la fois le statu de la femme et la place de la religion tout en restant un joli conte.
RépondreEffacer@ Miss Alfie : oui, un vrai beau livre, qui se dévoile après la lecture, quand il a pausé :) Du coup, j'ai acheté le coeur cousu lors de mon dernier passage en librairie !
RépondreEffacerJ'ai adoré ce livre . Je ne suis pas vraiment objectif puisqu'il se situe dans ma région et cela lui donne un intérêt particulier pour moi. Au delà de toutes les qualités , il fourmille de détails historiques tout à fait authentiques sur la Franche Comté, les croisades , Barberousse..et la lecture de ce livre est une porte ouverte pour essayer d'en savoir plus sur l'histoire , trop méconnue de ma belle province ..J'en remercie Carole Martinez qui a su émailler son récits imaginaire de mille détails historiques d'une vérité saisissante tout en y insérant quelques vieilles (et célèbres) légendes comtoises , tout cela avec une cohérence et une fluidité remarquable...Du domaine des murmures restera un de mes livres de chevet...Le début du récit me rappelle une visite que j'ai faite moi même dans les ruines du Castel Saint Denis à Scey en Varais ....et je choisi souvent les ruines de Montfaucon ou de Montferrand sont fréquemment mes destinations de randonnées à VTT ..Je ne pourrai plus m'y rendre sans avoir une pensée pour la belle Esclarmonde......
RépondreEffacerJe me demandais justement si elle s'était appuyé sur des légendes ou des mythes existants ou si tout venait de son imagination. Tu me confirme donc qu'il s'agit de sources existantes et je trouve cela d'autant plus intéressant. Crois-tu que l'esprit d'Esclarmonde va vivre comme celui d'Emma Bovary ou celui d'Esmeralda ? ;)
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