Il y a bien longtemps, Benacquista était un de mes auteurs fétiches.
J'étais étudiante, il commençait à être reconnu pour ses "romans romans", mais c'est par le roman policier que je l'ai découvert.Et puis j'ai lu Quelqu'un d'autre et Saga, deux romans qui m'ont vraiment marqués !
Le passage d'un genre à l'autre n'est pas toujours simple et plusieurs auteurs s'y sont essayé sans succès.
Benacquista, au contraire, y réussit fort bien et son passage dans la "blanche" de Gallimard est un emblème de l'évolution qui est en cours.
Quand Babelio m'a proposé de lire le dernier roman de Benacquista, je n'ai pas hésité.
J'ai tout misé sur le nom et le souvenir que j'avais de ces textes aux constructions soignées dont les mots s'agençaient si bien.
Mais le souvenir allait-il être à la hauteur de cette nouvelle lecture ?

"Les mariés malgré eux" promet un spectacle sans prétention, dans une petite ville et un petit théâtre, mais le sujet leur plait et le Canada peut bien attendre quelques heures.
Sur la scène se déroule un récit tragique, où un couple d'amants se retrouve pris dans la tourmente d'une foule agacée par leur bonheur tranquille.
Comment supporter en effet que cette femme et cet homme vivent hors du monde, qu'ils se soient soustraits à la société, qu'ils parviennent à vivre sans ployer sous le joug des puissants ?
Il faut faire quelque chose et agir pour rétablir l'ordre dans le village...
Bon, je cesse le suspens, j'ai adoré !

Il nous emmène dans son histoire par petits pas et puis se lance dans un texte lyrique et magnifiquement écrit.
Les premières pages sur la cavale de ce couple m'ont laissé un peu de marbre, je l'avoue, et puis il passe à l'évocation d'un Moyen Age noir et tragique où ce second couple est balloté par ceux qui ne supportent pas la vue de leur mode de vie si différent.
Les récits se brouillent, on se prend à vouloir rester au Moyen Age, mais le présent fait des incursions et nous rappellent que le tragique est partout.
Un peu de suspense savamment distillé nous rappelle les origines noires des premiers romans de Benacquista sans en faire trop.
Une réussite !
Et puis ce qui est drôle (ou juste pathétique), c'est que cette histoire me semble vraiment dans l'air du temps.

Or dans ce roman, l'histoire contée dans la pièce de théâtre (qui est en réalité racontée par le
narrateur, ne vous attendez pas à lire du théâtre) parle justement de cela.
Les deux amoureux vivent en autarcie, sans sortir ou presque, se nourrissant de la chasse et la cueillette, comme aux premiers temps.
Mais cela dérange, c'est étonnant ces gens qui ne vivent pas comme les autres, qui ne se soumettent pas à la société.
C'est alors que tout bascule.
Cette situation semble insupportable à ceux qui payent des impôts, vont à la messe, saluent leur seigneur, meurent de faim et de froid, subissent la terreur des puissants.
Comment supporter en effet de voir des gens heureux qui ne demandent rien à personne (et qu'on ne voit pas beaucoup en plus !) ?
Rien ne change.

Ne choisissez pas les chemins de traverse où vous risquez la vindicte populaire.
Les romans éternels, ceux qui nous parlent toujours 200 ans après avoir été écrits sont ceux que l'on dit "classiques".
Je ne sais pas si celui-ci le deviendra, mais en tout cas, il est tellement intemporel tout en étant inscrit dans notre temps que vous serez sûrement happé par ce récit et cette écriture si belle.
C'est pour moi une magnifique plongée dans la rentrée littéraire version 2016 et je ne peux que vous le conseiller à mon tour !!
Bonne lecture !!