Voilà enfin un roman de la rentrée qui m'a bien plu.
Je l'avoue, je désespérais un peu et je me disais que mes choix n'étaient pas très éclairés ces derniers temps, mais encore une fois, Actes Sud ne m'a pas déçue.
Il y a parfois des éditeurs qui publient des ouvrages qui nous plaisent particulièrement.
C'est le cas ici, avec un roman qui soigne le style au service d'un propos très délicat à traiter.
Lors de son dernier reportage, Étienne, reporter de guerre, a été enlevé par un groupe terroriste.
Lors de son dernier reportage, Étienne, reporter de guerre, a été enlevé par un groupe terroriste.
Un moment fasciné par une femme qui fuyait avec ses enfants sur le trottoir d'en face, perdant la distance qui lui était habituelle derrière son appareil photo, il ne s'est pas mis à l'abri assez vite et l'a payé de plusieurs mois de rétention.
Mais son enfer touche à sa fin.
A l'aéroport à Paris, sa mère l'attend et va le ramener dans son petit village, dans la maison de son enfance où il pourra retrouver son piano, son ami Enzo et le calme de la vie telle qu'elle était avant.
Mais rien n'est aussi simple...
Dans ce roman, il n'y a pas de faux-semblants, pas d'évitement.
Étienne rentre de captivité en plein syndrome post-traumatique et se trouve plongé dans sa vie d'avant, mais de bien avant.
L'auteur passe sous silence l'hospitalisation / débriefing qui suit le retour, pour consacrer son roman à la période de retour à la vie, à la nécessaire reconstruction dans toute sa difficulté.
Etienne n'est évidemment plus le même et ne retrouvera jamais son état d'esprit précédant la détention, il en a une conscience aiguë.
Il choisit d'ailleurs d'abandonner le terrain de l'immédiat pour remonter plus haut.
Il ne remettra pas les pieds dans son petit appartement parisien, mais choisit de rentrer dans son village, là où il a connu une jeunesse faite de musique et d'amitié.
Evidemment, là aussi le temps a passé et les amitiés d'avant ne sont plus ce qu'elles étaient.
Etienne visite son passé pour mieux lui dire adieu et passer à autre chose, effeuillant les souvenirs les uns après les autres pour mieux les digérer.
Il fait son deuil de ce qui n'est plus ou de ce qui ne sera jamais.
Le style de Jeanne Benameur sert le propos avec des choix qui m'ont paru vraiment littéraire (ce qui n'est pas si fréquent de nos jours).
Certains passages ne comportent aucune virgule mais une succession de mots qui cascadent, se succèdent comme s'ils arrivaient trop vite, comme s'il y avait une urgence à dire la souffrance.
La reconstruction d'Etienne n'est pas linéaire.
Parfois il va bien, d'autres fois la tâche à accomplir lui parait insurmontable.
Et puis à d'autres moments, on sent que les choses s'accélèrent, qu'il atteint un point de passage, qu'un souvenir lui dévoile une vérité sur lui ou les autres.
L'écriture suit ces mouvements et entraine le lecteur dans une accumulation ou, au contraire, dans un récit qui se pose, comme la musique qui sous-tend le récit.
Le récit s'enrichit aussi des petites histoires de chacun, des réminiscences de temps anciens, l'enfance, les amitiés enfantines, le passé de la mère d'Etienne.
Les pages sur la nature, sur la forêt où chacun va puiser sa force, un apaisement ou une consolation, sont très évocatrices.
L'éloge de la nature est manifeste, même si elle peut être effrayante ou cacher ce qu'il ne faut pas montrer tout en le dévoilant aux yeux indiscrets.
Après avoir été isolé de force, mis au secret par les terroristes, Etienne choisit de s'isoler volontairement pour choisir le moment où il se sentira prêt à revenir.
C'est cette reprise en main qui fait le coeur du roman.
Le basculement qui peut se produire dans une vie peut être de toute sorte finalement et ce livre exprime à la fois la chute et la recherche d'un nouveau chemin, mais aussi la souffrance de ceux qui restent ou observent cette chute.
L'entourage d'Etienne a souffert différemment mais doit aussi faire le deuil de ce qui ne sera plus.
Une universalité se dessine sous le propos qui nous amène à réfléchir à l'accompagnement de celui qui a perdu sa foi en la vie, à cette impossibilité de se dégager de la violence de celui qui est en face et a choisi sa cible.
Ce petit roman du deuil impossible mais nécessaire, de la nature et de la musique, tellement dans l'air du temps et tellement intemporel, pourra vous ravir avec ses belles pages si finement ciselées.
Merci à Decitre et Actes Sud pour cette belle lecture.