lundi 7 septembre 2015

La Maladroite d'Alexandre Seurat

Je commence ma rentrée littéraire sur ce blog avec un billet sur le troisième livre que j'ai lu, mais comme c'est le premier que j'ai écrit, autant vous le livrer.
Il va peut-être un peu détoner dans le concert de louange actuel alors j'ai tenu à l'argumenter (mais je vous ai mis des trucs en gras pour que vous puissiez suivre).

Voilà donc un billet très long pour un tout petit roman de la rentrée littéraire qui a déjà fait grand bruit sur pas mal de blogs de lecture.
Le jour de sa sortie, il était présent sur des blogs très suivis et les avis sont souvent très bons. 
C'est en grande partie grâce à Charlotte si on le voit beaucoup, car elle a eu la bonne idée de créer un challenge qui consiste à lire les 68 premiers romans de cette rentrée littéraire. 
Excellente idée qui permet à des auteurs encore méconnus de sortir un peu du lot, elle permet aussi à de petites maisons d'édition d'être plus visible. 

Un peu fascinée par cet engouement si unanime, je l'avoue, j'ai eu envie de vérifier par moi-même si cette centaine de pages était aussi fulgurante. 

Diana est née dans une famille comme il en existe parfois, avec une mère un peu instable qui a d'abord voulu accoucher sous x avant de changer d'avis, poussée par sa propre mère chez qui elle avait trouvé refuge. 
Et puis son père est revenu, et puis la famille s'est agrandie. 
Il y avait son grand frère, né d'un autre père, et il y aura un autre frère et une soeur. 
A l'école, l'institutrice de Diana a bien vu que quelque chose n'allait pas. 
L'enfant est couverte de bleues, le visage enflé, parfois elle boite. 
Mais elle dit qu'elle est tombé, qu'elle est maladroite...

Je crains malheureusement que mon avis ne soit pas aussi dithyrambique que celui de mes copines. 
C'est toujours difficile de dire cela du roman d'un auteur qui débute, surtout que dans ce roman, il y a le fond, inattaquable (ou presque) et la forme plus délicate il me semble. 
Car il y a quelques petites choses qui m'ont dérangé dans ce livre. 
Je vais commencer par ce qui m'a plu. 

Le sujet est évidemment de ceux dont il faut parler pour que les choses bougent un peu plus.
L'histoire qui nous est racontée rappelle malheureusement trop d'affaires qui nous restent en mémoire comme un immense gâchis. 
L'institutrice qui fait ce qu'elle peut, qui fait une liste quotidienne des bleus et des blessures de l'enfant, mais qui se heurte à la lourdeur administrative, au médecin scolaire qui ne veut rien savoir, ce sont des critiques que l'on entend malheureusement trop souvent quand il est trop tard. 
Le système est mal fait et laisse passer des cas terribles qui finissent en drame (mais j'ai un peu envie de demander combien d'enfants sont mis à l'abri pour un qui passe entre les mailles du filet ?). 
Rien que pour cela, ce roman doit exister. 
Il questionne la société et son fonctionnement et interroge le lecteur sur ce regard qu'on détourne souvent quand une main s'abat sur un enfant. 

L'autre qualité de ce roman, pour moi, est la polyphonie que l'auteur a choisi pour raconter cette histoire
C'est très original et cela fonctionne un peu comme un texte de théâtre. 
Aucun narrateur ne vient mettre un commentaire sur cette histoire. 
Il n'y a que les faits, racontés par ceux qui les ont vécu, comme on le voit parfois dans certains documentaires policiers (ou les films du matin sur tf1 qui sont très rigolos à regarder quand on est malade). 
Certains personnages interviennent d'une phrase, d'un mot quand une conversation les impliquant est racontée et le texte se présente comme une succession de répliques avec le nom du personnage et les différents actes qui se succèdent. 
On peut ainsi connaitre le point de vue de chacun sans filtre, sans être influencé par quoi que ce soit, si ce n'est la parole de celui qui a parlé juste avant. 

Mais cette idée théâtrale est aussi ce qui m'a un peu perturbé pendant ma lecture. 
Certains tours de parole sont surprenants. 
Quand un personnage coupe littéralement la parole d'un autre pour dire quelques mots, on ne sait plus où on en est, et le drame qui se joue retombe un peu comme un soufflet. 
C'est terrible de dire cela vu le sujet traité, et pourtant, c'est comme ça que je l'ai ressenti. 
J'ai vraiment été perturbée par ces petites coupures dans le récit. 
Ce même récit, d'ailleurs, souffre aussi de ne pas avoir de vrai récit cadre. 
L'institutrice qui débute le récit voit un journal et remonte le fil de ses souvenirs, mais que viennent faire les autres voix dans ces souvenirs ? 
Il en est de même pour certaines tournures de phrases qui sonnent un peu faux, sans doute la faute à cet écrit oralisant choisi par l'auteur. 
Il me semble que ce sont des défauts inhérents à la forme de récit qui a été choisie par l'auteur, même si on les oublie assez vite. 

Au final, je retiens un récit plaintif, où tout le monde tente de se justifier, se plaint de ne pas avoir été entendu, où tout le monde affirme que ce n'est pas sa faute, comme on l'entend quand un tel drame arrive. 
D'ailleurs, tous les personnages ont un peu le même ton dans ce récit. 
C'est un premier roman, mais la forme semblait faciliter la multiplication des tons, le jeu sur la langue des différents personnages qui sont au contraire un peu monocordes, alors que tous n'ont sans doute pas la même voix, loin de là. 
On n'entend pas Diana et personne ne la plaint vraiment. 
Comme en écho à ce qu'a été sa vie, personne ne prend de responsabilité et tout le monde se cache derrière la procédure, une plainte ou l'attitude des parents qui cachaient bien leur jeu. 

Je terminerai avec une demande personnelle à l'auteur. 
S'il vous plait, oubliez les rêves dans votre prochain livre
Vous avez une joli plume, vous avez traité ce sujet difficile avec retenue, mais les rêves que font les personnages où ils sont censés déceler la souffrance de Diana, c'est un peu too much.
D'ailleurs, ça ne les alerte jamais vraiment (et on se croirait chez Mary Higgins Clark).
Le béton, à la fin, c'est un peu "gros" aussi et peu vraisemblable quand même.
Comment peut-il le faire d'ailleurs ?
(edit : Valou m'a expliqué qu'il avait vraiment fait comme ça. La réalité est parfois moins vraisemblable que la fiction...)


Pour finir, je retiendrai le procédé théâtral de narration vraiment original, une prise de risque évidente avec un sujet pas facile mais bien traité, mais une froideur dans la narration et une unité de ton un peu dommageable pour le récit. 


Vous trouverez beaucoup d'autres avis par ici : chez Antigone une lecture à distance, et des avis enthousiastes chez Alex, StephieLeiloonaEimelleNoukette, Valou, et chez vous ? 


1/6 pour cette rentrée littéraire





28 commentaires:

  1. Ce roman ne m'attire absolument pas et ton avis me conforte dans mon opinion...Merci!

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    1. Mais de rien ;^) Il est sur beaucoup de blogs alors n'hésite pas à aller te faire une autre opinion, mais pour ma part, je ne le conseille pas, c'est sûr.

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  2. Du coup, je suis encore plus tentée par ce roman qui me faisait très envie en lisant les blogs,pour voir si je vais pencher vers ton avis plus mitigé ou vers les avis enthousiastes ;-) Tu éveilles la curiosité!

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    1. Tant mieux alors ! Je crois qu'on lit ce roman en s'attachant juste au sujet, absolument navrant, c'est vrai et inattaquable, ou un peu détachée comme moi, et alors là, le style saute aux yeux et ne passe pas.

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  3. Comme je l'ai écrit chez Antigone, et peut-être ailleurs, je ne lirai pas ce roman, je ne peux m'empêcher de penser à des cas que j'ai vus ou dont j'ai entendu parler... J'ai du mal avec ce sujet, je comprends bien qu'il faut en parler, mais peut-être pas sous forme de roman ? Le goût actuel pour les "histoires vraies" surtout quand elles sont sordides, me dérange un peu.

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    1. Ta question m'interpelle. C'est vrai qu'un roman, ça a peut-être tendance à tout gommer, à lisser une réalité vraiment très moche. Et là, en plus, il a vraiment "collé" au fait-divers dont il parle. C'est assez dérangeant effectivement.

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  4. Il m'arrange bien ton billet, comme tu le sais, vu que le sujet ne me tente pas du tout.

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  5. Ton avis est très détaillé et je n'avais pas fait attention à cette ambiance théâtrale que tu as remarqué... J'ai seulement ressenti un malaise difficile à expliquer. Et puis cela me gêne que l'on appelle roman un récit qui et visiblement très proche de l'histoire véritable, ce n'est pas très honnête vis à vis des lecteurs qui ignorent l'affaire et pourraient se sentir mal de constater ensuite que ce qu'ils ont pris pour un roman était un fait réel. Je crois qu'au final ce livre m'a relativement agacée.

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    1. C'est quand même un roman, parce qu'il a choisi une autre fin, et les personnages sont des personnages. Mais je vois ce que tu veux dire. Je pensais qu'il y aurait une note ou quelque chose parlant des faits auxquels il fait référence. Mais je crois que moi aussi, ça m'a agacé !

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  6. Ne me tente absolument pas comme je le disais chez Antigone et j'avoue être surprise de le voir autant sur les blogs.

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    1. Le sujet est touchant et on peut s'y laisser prendre. Cette petite fille qui a été abandonnée par tous les uns après les autres ne peut qu'émouvoir mais l'écriture ne m'a pas suffisamment emportée.

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  7. Voilà un avis bien argumenté qui ne modère pas mon envie de découvrir ce roman, au contraire. C'est très bien que grâce aux blogs on puisse lire des ressentis différents.

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    1. Tant mieux, je ne voudrais pas te priver d'un éventuel coup de coeur (qui sera certainement un coup "au" coeur en tout cas).

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  8. Ton avis est très intéressant et complémentaire des autres je trouve. Je fais partie de ceux qui ne l'ont pas encore lu mais je tiens toujours à le faire.

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    1. Il faut se faire sa propre idée, et vu le nombre de billets enthousiastes, tu as raison d'avoir quand même envie de le lire ;^)

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  9. Il m'a semblé que les personnages n'étaient pas geignards, justement.

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    1. Ils ne sont pas geignards mais en expliquant leur point de vue, ils ne parlent que d'eux même, jamais de cette enfant. Ils se justifient, regrettent que personne n'ait réagi, se plaignent de ne pas avoir été écouté comme l'institutrice, sans jamais rien dire de la souffrance de Diana. Ils ne parlent que de la leur après coup, et de leur culpabilité ressentie. C'est sans doute ce qui se passe vraiment quand cela arrive mais cela m'a semblé si égoïste !

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  10. J'ai l'impression que mon agrégateur de flux zappe tes messages en ce moment. Il faut que je vérifie si tu es toujours sur la liste ! Ton point de vue est intéressant et me dissuaderait de lire si je n'avais pas déjà décidé de ne pas le faire. J'ai travaillé presque toute ma carrière dans un service social et les dessous, je ne les connais que trop bien. Et je suis trop contente d'avoir quitté ce milieu là (éprouvant) pour y retourner, fut-ce dans un roman.

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    1. Il y a un billet livre tous les lundi en ce moment Aifelle ;^) Le reste de la semaine, c'est moins régulier, mais peut-être blogger fait-il des siennes.
      Et pour le livre, tu as raison de ne pas vouloir le lire, parce que ce qu'il dit des services sociaux va t'énerver ;^) (et parfois, effectivement, on n'a pas envie de se replonger dans ce qu'on a quitté avec soulagement !)

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  11. Réponses
    1. Il y a tant d'autres livres plus intéressants à lire ;^)

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  12. Pour le béton, Estelle, c'est le réel qui est justement invraisemblable, oui, son corps a été coulé dans du béton ... http://www.ouest-france.fr/marina-la-derniere-nuit-de-la-fillette-au-sous-sol-148175

    Je comprends quand tu dis que tu regrettes le style froid, mais à mes yeux le livre est justement réussi car on n'entre pas dans le pathos.

    Quant aux récits plaintifs, je ne comprends pas ton point de vue : les gens se lamentent, oui, comme dans la vraie vie, comme tu le soulignes, mais qu'aurait-il pu y avoir comme ton, si ce n'est pas celui de la plainte ?

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    1. Oui, Valou me l'a dit pour le béton, j'ai rajouté une note. Je trouvais ça infaisable techniquement, et j'avais en tête une affaire de petite fille enterrée dans la forêt, j'ai cru qu'il avait modifié cet évènement (c'est horrible d'écrire ça...). Pour le pathos, je suis d'accord, mais toutes les voix se ressemblent. Il aurait pu y avoir un ton différent pour chacun, car je doute que l'institutrice s'exprime comme la tante de Diana.
      Quant aux plaintes, ils se plaignent pour eux-mêmes, ils ne plaignent jamais l'enfant. Ils déplorent de ne pas avoir été écouté, ils se défaussent, mais aucun n'assume vraiment. C'est comme ça dans la vraie vie aussi, je le sais, et ça m'agace tout autant. Ce n'est effectivement pas la faute de l'auteur ;^)

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  13. Franchement as-tu déjà vu des billets négatifs sur des livres le jour de leur sortie ??? Oui je sais l'indépendance des blogueurs etc....mais je n'ai jamais lu de billets ne serait-ce que mitigés sur un livre le jour de sa sortie en librairie. Donc par principe je ne les lis pas. Sauf le tien car je sais que tu en dis un peu de mal (beaucoup moins qu'on pourrait s'y attendre, et c'est très bien). Si j'ai tout bien compris, c'est la construction du récit qui pêche, il faut dire que le sujet est vraiment vraiment sensible. Traiter de cela c'est toucher à un tabou ancestral, et l'actualité nous l'a encore rappelé récemment. Pour le coup du béton, je crois que c'est très vrai malheureusement. Je ne le lirai sans doute pas, mais je salue la démarche de l'auteur, il a tenté de dénoncer quelque chose (l'irresponsabilité générale) et c'est déjà bien.

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    1. Oui, c'est vrai, mais si je l'avais lu plutôt (si j'étais mieux organisée en fait), j'aurais pu publier mon billet le jour de sa sortie ;^)
      Quant à mon billet, la bienveillance reste dans le fond de mon esprit, quel que soit l'évaluation que je pratique et je me vois mal descendre un jeune auteur. Imagine qu'il s'égare un jour par ici ! ça ne risque pas d'arriver, mais on ne sait jamais ^-^. Il a tout de même le mérite d'avoir écrit un roman sur un sujet délicat et d'avoir été publié !
      Et pour le texte, oui, pour moi mais ce n'est que mon avis, je trouve son choix un peu trop froid ou mal maitrisé. Valou me disait qu'il s'agissait plutôt des minutes du procès. OK, mais ça m'a fait penser à la série tribunal qu'il y avait à la télé quand j'étais petite ou aux téléfilms cheap du matin sur TF1. Pas facile d'avoir de l'empathie dans un récit aussi froid, même si on peut considérer que c'est une qualité du roman.
      Mais ma critique principale, c'est quand même cette uniformité dans les voix.
      Pour le reste, je suis plutôt d'accord avec toi. Quand les médias ne suffisent pas à faire prendre conscience de quelque chose, le roman peut peut-être les aider.

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  14. Il ne me tente pas, en lisant ton article je me souviens en avoir entendu parler de ce livre et en bien. Mais voilà, pas tenté plus que ça même si les premiers romans prometteurs sont toujours une bonne expérience de lecture, enfin souvent...

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    1. La plupart des billets était très enthousiaste, mais je n'ai vraiment pas accroché. Ce n'est pas moi qui vais te tenter davantage ;^)

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