Le travail du bois m’a toujours fasciné.
Julien Ribot |
Petit je regardais les ciseaux de mon grand-père
avec fascination.
Leur tranchant, le fil du bois qui cédait sous la lame,
les petits copeaux qui parsemaient le plancher de l’atelier, l’odeur
du bois qui se dévoilait…
J’aimais passer du temps dans cet antre chaud et sombre où
le bois se transformait.
Quand le moment de choisir un métier est arrivé, je suis resté
dans cet atelier et j’ai poursuivi la lignée.
J’ai eu mes propres ciseaux, puis mon propre tabouret, et
enfin mon propre atelier.
Là où mon grand-père transformait le bois en coffres et
en chaises, je l’ai façonné pour en faire autre chose.
De mes mains sont sorties des formes arrondies, des courbes et
des volutes.
Le bois a révélé des formes féminines de plus en
plus épurées,
de plus en plus travaillées.
Mon travail a fait grand bruit.
On me trouvait dans les plus grandes galeries mais je savais me
faire désirer.
Mon atelier était parfois visité
par des amateurs d’art à l’affut de la perle rare, de l’artiste qui leur permettrait de placer
leur argent dans une valeur sure.
Je produisais pour eux des corps souples et déliés,
des sculptures alimentaires qui leur donnait l’impression de posséder
une parcelle de mon art.
Mais au fond de mon atelier, je gardais pour moi celle qui
condensait tout mon art, celle qui m’attendait comme une promise, celle que
je poursuivais sans jamais l’atteindre, celle qui m’intimait
l’ordre
de revenir sans cesse la toucher, la caresser, la remodeler, celle enfin qui se
dérobait
sous mes doigts.
J’avais choisi ce bois en la devinant sous l’écorce.
Son odeur, sa couleur, tout me paraissait si présent
que je la voyais déjà.
Et pourtant, malgré les mois passés à
la chercher, elle n’était pas encore tout à fait là.
Elle m’obsédait et me tourmentait, elle était un refuge et un supplice, elle s’agrippait
et me repoussait.
J’étais à bout.
Je n’en pouvais plus de cette course sans fin.
Dans un accès de fureur, craignant de m’en
prendre à
elle, je l’avais cédé à cet homme qui me harcelait depuis des
semaines pour que je lui livre une de mes œuvres.
Et me voilà là, le ciseau à la main.
Je n’ai pas pu.
Je n’ai pas su vivre sans elle.
Son absence m’a rongée bien plus que sa présence.
Errant dans mon atelier, je n’ai senti que le vide et le désespoir
de celui qu’on a abandonné.
Ma demande était simple pourtant.
S’il avait accepté de me la rendre, nous serions reparti
elle et moi simplement.
Mais il a refusé.
Et me voilà là, le ciseau à la main dont le
sang goutte sur le plancher et trace une ligne de mort d’elle à
moi, une ligne qui nous lie.
A jamais.
Ma plume m’a surprise pour ce texte et s’est laissé
emporter par mon amour pour ce roman de Zola que vous aurez sans doute reconnu.
Effectivement, les destinées de nos personnages sont proches. Il y a un impérieux besoin d'absolu chez eux, une recherche d'absolue beauté. J'aime beaucoup ton texte !
RépondreEffacerMerci Titine, c'est sans doute une vision un peu romantique de l'artisan, non ? Mais j'aime à y croire.
EffacerChercher l'absolu sans le trouver, aimer à la folie... Un texte très fort sur la douleur de la création artistique.
RépondreEffacerZola l'est plus encore, j'avais un bon modèle ;)
Effacerc'était lui voler son enfant que de garder l'oeuvre de sa vie...
RépondreEffacerMais voilà, et même encore pire car on est aussi heureux quand son enfant prend son envol.
EffacerEh bien, ça saigne sur les blogs cette semaine ;)
RépondreEffacerOui, cette photo avait pourtant l'air paisible :D
EffacerDifficile de vivre en étant séparé de ce qui nous est cher ...
RépondreEffacerOn a parfois l'impression d'avoir perdu une partie de soi.
EffacerUn très beau texte rempli d'émotions :)
RépondreEffacerMerci à toi pour ce compliment :D
EffacerTrès beau texte, que je lis bien trop tardivement... j'ai été emportée par la spirale que tu engendres avec tes mots, et qui ne peut que finir mal. C'est réussi.
RépondreEffacerMerci Antigone. Je le voyais effectivement pris dans un enchainement fatal. Il ne pouvait pas s'en sortir.
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