Connaissez-vous la littérature estonienne ?
J'avoue ma méconnaissance complète avant de lire ce roman et je pense que c'est le premier que je lisais ayant cette origine géographique !
Et L'homme qui savait la langue des serpents n'est pas exactement le genre de roman que j'aurais choisi spontanément à la librairie.
Leemet connait la langue des serpents. A la mort de son père, sa mère est retournée dans la forêt pour élever son fils dans la tradition et Leemet a pu apprendre la langue des serpents avec son oncle. Mais la forêt se dépeuple et petit à petit, les maisons se vident et voient leurs habitants partir pour le village. Les esprits des bois n'ont plus personne pour les prier et Leemet peut passer des journées entières avec ses amis les serpents sans voir personne...
Ce roman est vraiment étonnant.
Le sujet est original et peut surprendre au premier abord et quand je l'ai vu dans la sélection du Prix Audiolib, j'ai mis le livre de côté en me demandant ce qu'il faisait là. Mais comme souvent dans ce prix, j'ai été très agréablement surprise !
Le récit se déroule à une période indéterminée que l'on devine se situant dans le haut Moyen Âge. Les habitants du village sont récemment christianisés et des chevaliers étrangers colonisent la région. L'auteur se sert de cette période historique pour proposer un conte allégorique qui exprime le désarroi d'une partie des habitants de la forêt face aux racines qui disparaissent, face à ce que l'on peut nommer "barbarie" bien que cela soit plus vivable que la "civilisation" et la "modernité".
Leemet est l'ancien monde qui se fracasse au nouveau avec lucidité. Il dénonce avec un humour parfois grinçant les travers de cette société de l'asservissement au nom de la modernité, de la dépendance aux objets, l'oubli de soi et de son individualité au profit d'un conformisme qui rend esclave. Il est aussi dans une position difficile, entre fidélité aux anciens et volonté de rompre avec l'ancien monde pour construire le sien. Tout ceci résonne forcément beaucoup avec l'actualité de l'Estonie et plus largement avec l'évolution de la société contemporaine.
L'écriture d'Andrus Kivirähk est fluide, vivante, on se prend d'affection pour les personnages que l'on a l'impression de bien connaître. Et les descriptions de la forêt donnent vraiment envie d'aller prendre un bol de verdure.
La version audio est lu par Emmanuel Deconinck et on ne peut que se laisser emporter par son timbre chaud qui est si facile à suivre. Les différents personnages sont faciles à reconnaitre et l'histoire coule toute seule !
Quant à moi, je ne regarderai plus jamais les serpents de la même façon !