Il y a parfois des Classiques que l'on regarde de loin, que l'on a envie de lire mais l'occasion ne se présente pas.
Et puis soudain, à la faveur d'un prix littéraire, le titre tant contourné arrive entre vos mains.
C'est ce qui s'est produit pour ce roman de Toni Morrison que j'avais beaucoup vu sans céder à la tentation. Ma lecture ne fut pas facile (mais c'est aussi ce qui fait la qualité des Classiques) mais elle restera longtemps en moi.
Dans la maison de Sethe, un fantĂŽme fait craquer les murs, dĂ©place les objets et effraie les passants. Avec sa fille Denver, elles sont habituĂ©es Ă la prĂ©sence malveillante de ce fantĂŽme de bĂ©bĂ© qui ne veut pas partir. Et puis un jour, Paul D. fait son apparition, revenu d'un lointain passĂ© oĂč Sethe tentait de fuir l'esclavage. Lui seul fait taire le bĂ©bĂ©...
Je dois avouer avoir Ă©tĂ© trĂšs dĂ©stabilisĂ©e par ce roman ! D'ailleurs, j'ai eu bien du mal Ă me lancer pour Ă©crire ce billet. Pour une fois, je vais mĂȘler le commentaire de la version audio et du livre en gĂ©nĂ©ral car je ne pourrais pas sĂ©parer les deux.
C'est Anne Alvaro qui a été choisie pour lire ce texte de Toni Morrison. AprÚs en avoir discuté avec Enna, j'ai découvert qu'elle avait la tùche difficile de rendre à l'oral les choix lexicaux de l'auteur qui utilise une langue trÚs particuliÚre quand elle fait parler ses personnages. Les anciens esclaves avaient en effet développé un créole qui leur était propre. Elle adopte donc un ton un peu trainant et dans les premiÚres minutes, on ne sait pas si elle va se mettre à hurler, à pleurer, si elle geint ou si elle est en extase ! C'est un peu compliqué à interpréter et assez perturbant. Je me suis accrochée pour finir le roman parce que l'histoire me plaisait mais j'ai eu beaucoup de mal pendant les premiÚres heures d'écoute. Ensuite, je me suis habituée et je crois que ce roman restera pour moi associé à ce ton trainant.
AprĂšs m'ĂȘtre habituĂ©e au ton de la lectrice, je me suis laissĂ©e porter par le texte. L'histoire passe par de multiples dĂ©tours pour raconter l'histoire des diffĂ©rents personnages prĂ©sents ou disparus et expliquer comment on en est arrivĂ© Ă la situation actuelle. Cela permet Ă Toni Morrison d'aborder de nombreuses situations d'esclavage et surtout, de parler des sĂ©vices que les maitres faisaient subir impunĂ©ment. Comme un devoir de mĂ©moire, le roman balaie des vies entiĂšres de servitude en n'Ă©pargnant rien au lecteur.
Je pense que je suis passĂ©e Ă cĂŽtĂ© de beaucoup de choses, des allusions Ă l'histoire amĂ©ricaine, des figures de l'esclavagisme sans doute mais ce que j'ai pu en percevoir laisse dĂ©jĂ entrevoir une histoire lourde qui ne peut que poser problĂšme dans l'AmĂ©rique d'aujourd'hui. C'est encore trop proche pour avoir Ă©tĂ© absorbĂ© et chacun doit avoir des reproches pour ceux d'en face. Mais ce qui est marquant ici, c'est que l'auteur ne s'en tient pas au face Ă face blancs-noirs mais s'intĂ©resse aussi Ă la communautĂ© dans laquelle vivent ces femmes. Elles souffrent aussi de la jalousie de leurs voisins, de la peur, de la haine mĂȘme. Le pardon n'est pas permis pour ceux qui souffrent.
Et finalement, je me suis quand mĂȘme demandĂ© si j'aurais fait pareil Ă sa place et je crois bien que oui...
Comme toi, je m'étais laissé porter par le récit. Et c'est un de mes roman préféré de l'autrice.
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