Je l'ai déjà dit plusieurs fois je pense, mais je le répète, il est bien difficile de parler des livres qui marquent durablement leur lecteur (en tout cas pour moi).
Comment rendre ici ces pages qui m'ont profondément marquées, qui m'ont tirées quelques larmes (et je n'ai pas toujours la larme facile), qui ont résonné en moi et ont évoqué tant de choses ?
J'ai noté plein de choses dans mon carnet, pressentant que cela serait difficile, alors je vais piocher dedans pour essayer de vous en parler tout de même.
Pour autant, ce n'est pas un avis lisse, comme vous allez le voir.
Il y a aussi quelques petites choses qui m'ont un peu dérangé.
Le char a tiré.
Personne n'aurait pensé que le char tirerait sur un taxi.
Pourtant, George est là, caché dans ce garage, blessé et aux aguets.
Le char va-t-il tirer à nouveau ? Et comment s'est-il retrouvé là ?
Mettre en scène Antigone dans le Liban en guerre était une belle idée.
Depuis qu'il avait rencontré Samuel dans cet amphithéâtre de la Sorbonne, George l'avait suivi avec enthousiasme, le considérant un peu comme son maitre.
De manifestations en AG, il avait écouté son ami grec le remettre à sa place parfois, le faire réfléchir souvent.
Bien sûr, il y avait eu des moments où ils s'étaient moins vus, mais quand Samuel avait parlé de son projet et demandé à George de prendre le relais, il n'avait pas dit non.
Et puis tout était organisé, il n'avait plus qu'à prendre l'avion pour Beyrouth...
J'ai une appétence personnelle pour le théâtre.
J'en ai fait beaucoup adolescente, et forcément, un roman qui s'intitule "le quatrième mur", ça me parle.
Pourtant, pendant une bonne année, j'ai tourné autour, me disant que je le lirai en poche ou que je verrai plus tard.
Il faut dire que le sujet est tout de même particulier.
Monter Antigone en plein Beyrouth en guerre, cela promettait un roman tout de même un peu dur, voire tragique.
Et puis finalement, je l'ai dégoté d'occasion en livre audio.
Je n'avais donc plus d'excuse.
Evidemment, je ne vais pas vous dire que c'est un roman facile et sympa à lire.
Les lycéens, pour avoir bon goût, ont aussi choisi pour leur Goncourt un livre fort, dense et riche de thèmes divers qui font forcément réfléchir à un moment ou à un autre.
Beyrouth est en guerre et rien n'est caché.
Les communautés qui s'affrontent, les enfants orphelins, blessés, la ville détruite, la vacuité de tout cela aussi.
L'actualité et la déstabilisation profonde de cette zone géographique apparaissent sous un nouveau jour quand on perçoit mieux les sources du conflit, bien que le roman ne soit pas didactique.
L'idée est plutôt d'utiliser des parallèles pour que le lecteur comprenne.
L'Antigone montée par Anouilh pendant la seconde guerre mondiale trouve un écho ici et prend une autre signification dans ce contexte, tout en disant toujours la même chose, la difficulté à se comprendre, l'inutilité de l'affrontement.
Le résultat est spectaculaire et lorsque le roman bascule de la vie bien tranquille de George à sa plongée dans la guerre, on plonge avec lui dans une apocalypse qui ne laisse personne intact.
Le théâtre n'est plus sur scène, et chacun joue aussi un rôle dans ce terrain qui nécessite que tous soient identifiés dans une communauté, comme une fonction théâtrale.
On est chrétien, musulman, de la montagne, de ce quartier ou d'un autre, et chacun agit comme on attend de lui qu'il le fasse.
Le sniper est ainsi décrit comme un homme qui reste humain malgré tout et qui ne veut pas savoir si la cible est touchée, qui se déconnecte de la situation.
C'est horrible et on se demande forcément si on a envie de lire ça.
Un sniper est évidemment un sale type dans la conscience collective.
Mais en réalité, cela peut être n'importe qui, ce qui est encore plus effrayant.
L'escalade de la violence qui se déroule sous nos yeux n'aura pas de limite, et si j'ai regretté un peu l'excès de détail dans la description du massacre de Chatilla, j'avoue qu'il était difficile de faire autrement et qu'il faut en parler pour que cela ne soit pas oublié.
Le massacre de femmes et d'enfants dont on avait éloigné les maris et les pères est un acte qui n'est plus dans nos mémoires et qui a pourtant touché les Palestiniens de plein fouet.
Le regard de George apparait alors comme un outil primordial et ses yeux comme un élément central du récit.
C'est par la vue qu'il découvre Samuel, et qu'il peut ensuite décrire ce qu'il vit.
Il faut qu'il voit pour ressentir.
Quand il ne pourra plus voir, de retour à Paris, il cherchera dans les journaux ce qu'il pourra apprendre de Beyrouth mais jamais cela ne le satisfera.
C'est au final une lecture très forte, un roman qui marque pour longtemps.
Il y a un petit romantisme disséminé peut-être pour alléger l'atmosphère qui ne m'a pas convaincue et cette description du camp de Chatilla que j'ai trouvé trop détaillée, trop crue, mais ce sont les seuls griefs que je lui ferais.
(et puis cette fin ! Pourquoi faire de telles fins ? Un jour, je créerai une association pour la réécriture des fins de romans !)
Dans ma version Audiolib, il y avait en supplément une interview de l'auteur passionnante qui éclairait l'écriture et la structure du roman.
Cela m'a permis de comprendre la fin, qui m'avait un peu révolté à la lecture.
Mais il ne pouvait apparemment pas en être autrement.