Il y a parfois des romans qui vous tombent dans les mains sans que l'on sache trop si on va les aimer ou non.
Le nom de l'auteur ou le résumé attirent et puis on hésite, on manque d'enthousiasme et finalement on se lance quand même et on découvre quelque chose de très différent de ce qu'on avait imaginé.
Palerme, 1677
La Sicile, province espagnole, est administré par un envoyé du roi d'Espagne portant le titre de vice-roi.
Mais le vice-roi Don Angel de Guzman vient de mourir en plein milieu du conseil des ministres.
Son testament est très clair, c'est sa femme Dona Eleonora di Mora qui doit lui succéder et administrer la Sicile tant que le roi d'Espagne n'envoie pas de nouveau vice-roi.
Mais on n'a jamais vu Dona Eleonora di Mora qui se cache depuis qu'elle a débarqué d'Espagne.
On la dit très belle, douce et réservée, bien que personne ne l'ai juste aperçue.
Les ministres s'en frottent déjà les mains...
Quel bizarre petit roman !
Je n'avais jamais lu Camilleri, même si je connais bien Montalbano, son personnage fétiche que j'adore regarder quand France 3 passe les derniers épisodes.
Je savais qu'il avait une langue particulière, où l'italien est mêlé au sicilien, ce qui ne doit pas être simple pour les traducteurs.
Mais le savoir et le découvrir "en vrai", ce sont deux choses différentes !
Le texte est effectivement truffé de petits mots qui viennent s'insérer dans les phrases et faire irruption dans le récit.
Certains sont proches du français par une racine commune ou paraissent être issus d'un vieil argot tandis que d'autres sont sans doute plutôt des créations du traducteur qui a voulu rester proche du texte original.
Je ne sais pas si tous les romans de Camilleri sont écrits de la même façon, mais cela m'a franchement déstabilisée pendant une trentaine de pages.
Le sens est souvent transparent et ce n'est pas vraiment un problème de compréhension car on s'habitue vite, mais c'est très gênant de devoir s'arrêter toutes les trois lignes pour tenter de découvrir ce que cela signifie.
La lecture est beaucoup moins fluide et s'arrête forcément sur ces mots.
Alors évidemment, cela "fait" peut-être sicilien, couleur locale, typique, c'est sans doute une revendication territoriale de la part de Camilleri, mais je n'ai pas vraiment été réceptive.
Et puis je me suis habituée et j'ai poursuivi ma lecture... pour découvrir que la Comtesse parle espagnol la plupart du temps !!
Après le sicilien francisé, l'espagnol non traduit !
Bon, je crois qu'on peut clairement dire que le choix de la langue est un point déterminant pour Camilleri.
La comtesse ne souhaite pas s'installer, elle sait que son séjour sera bref, et elle est d'ailleurs restée cachée pendant que son mari gouvernait la Sicile.
Pour résumer ces considérations linguistiques, il vous faudra un peu de courage pour découvrir cette histoire mais vous aurez raison de persister car c'est tout de même une bien jolie histoire.
L'auteur s'est appuyé sur un fait historique souvent passé sous silence dans les Histoires de la Sicile.
Une femme au gouvernement, quelle indécence !
Et pourtant, les textes montrent qu'elle a mené une série d'actions déterminantes pour la population, pour les pauvres, pour les femmes, pour les femmes âgées anciennes prostituées...
Camilleri romance un peu tout ça en mettant en place une intrigue entre les membres du conseil évincés et la Comtesse vice-roi qui fonctionne très bien et m'a fait pensé à ces romans du 16e siècle où le larron est confondu par un vertueux comme dans le Décameron.
Il y a une vraie lignée romanesque qui s'exprime ici et la style de Camilleri joue forcément un grand rôle dans cette appartenance.
C'est un peu baroque, riche et foisonnant dans le mélange des langues et les évènements qui se déroulent en une centaine de pages.
On a vraiment l'impression d'être plongé dans Palerme qui se révolte, Palerme qui remercie, Palerme qui protège et le départ de cette femme nous est autant une déchirure que pour les habitants.
Je retenterai Camilleri dans un roman à l'histoire contemporaine pour voir si son style est toujours celui-ci.
J'ai tendance à penser que non mais La concession du téléphone m'attend dans ma PAL et ce sera un plaisir de vérifier.
Merci à l'éditeur Fayard
et à NetGalley pour cette découverte